Domaine Micheli Landecy

Visite du domaine Micheli à Landecy   16 juin 2016

Cette visite constituait une contribution de notre association aux festivités organisées par la commune de Bardonnex à l’occasion du bicentenaire de l’entrée de Genève dans la Confédération suisse.

Si la population de Landecy a eu plusieurs fois l’occasion de visiter le domaine Micheli, lors d’événements comme la fête du village, l’escalade ou le feuillu, il n’en allait pas de même pour les habitants des autres hameaux de la commune. Pour éviter une trop grande affluence, nous avons dû limiter le nombre de participants à 60, 20 places étant réservées aux membres de notre association.

Sous une petite pluie fine, les heureux élus furent divisés en deux groupes. Pendant que le premier groupe pénétrait dans la maison de maître, sous la conduite de Dominique et Jacqueline Micheli et de leur fille Ariane Lardy Micheli,  le second faisait le tour des dépendances, visitait les jardins, le parc et le vieux verger sous la houlette d’Inès Micheli, notre présidente.

Un peu d’histoire !

En 1536, Genève ayant  adopté la Réforme, les droits de l’évêque et d’autres congrégations comme le Chapitre cathédral et le Prieuré de Saint-Victor passent à la République genevoise. Les riches bourgeois de Genève vont alors acheter des biens fonciers dans ces territoires devenus protestants, dont plusieurs se trouvaient dans notre région, et notamment à Landecy.

Le fabricant de dorures Nicolas Baulacre (1621-1688), , fut probablement le premier à acheter, vers 1670, des terrains à Landecy
Son neveu, Pierre Perdriau le suivit quelques années plus tard. En 1680, il acheta coup sur coup deux fonds ruraux situés aux deux extrémités du village. L’un, à l’est, qui s’étendait en direction de Rozon et l’autre, à l’ouest, où s’est constitué le domaine Micheli.

Pierre Perdriau possédait des biens immobiliers innombrables, à Genève et dans ses alentours. Dans son testament rédigé le 1er août 1700 dans sa campagne préférée, de Collonges-sous-Salève (actuellement entre  les mains de la famille Franzoni) il partage ses biens entre ses trois fils et lègue le domaine à l’ouest de Landecy à son deuxième fils, le banquier Ami Perdriau. Ce dernier épouse Françoise Calandrini qui fait construire la « maison neuve » adossée au nord du bâtiment (1700) et devient seule propriétaire du domaine en 1737.


Le Traité de Turin de 1754

En 1754, un traité lourd de conséquence pour Landecy est conclu à Turin entre Genève et la Savoie. Genève abandonne ses droits dans les enclaves genevoises en terre savoyarde. Landecy devient donc savoyarde et catholique. Les protestants de Landecy non bourgeois de Genève ont 25 ans pour s’en aller ou se convertir. Quant aux familles bourgeoises, elles gardent leurs domaines, mais ne pourront y séjourner que six mois par année. Ces mesures provoquent un profond bouleversement dans la population de Landecy. Des habitants de Bardonnex, Charrot, Saconnex d’Arve, Arare et Plan-les-Ouates pourront acquérir à Landecy des terres et des maisons à bon compte.

L’occupation française de 1792 à 1814
En 1792, une armée révolutionnaire française, commandée par le général de Montesquiou, envahit la Savoie. Dans la perspective de soumettre Genève, il établit son quartier général à Landecy, dans la maison Perdriau d’où il négocie avec la cité de Calvin. Sa position jugée trop favorable à Genève, il tombe en disgrâce et doit s’enfuir en sautant par la fenêtre !

Présence des Micheli à Landecy
La famille Micheli  est originaire de Toscane et son appartenance à la noblesse italienne remonte au XIIe siècle. Expulsés de Lucques par une révolution démocratique, François Micheli s’installe à Genève où il est reçu comme bourgeois en 1556. Plusieurs de ses descendants firent une carrière militaire. C’est notamment le cas d’Horace Louis Micheli (1776-1846).

Horace Louis Micheli joue un rôle éminent au moment de la chute de l’Empire et de la Restauration. Il est membre du Conseil provisoire mis en place en décembre 1813 après le  retrait des troupes napoléoniennes. Il négocie le rattachement des communes françaises à Genève et c’est à lui, en tant que commissaire fédéral, que les autorités françaises remettent ces territoires, à Gex, le 4 juillet 1816. Parallèlement, il intervient dans la détermination du tracé des frontières entre Genève et la Savoie dans les alentours de Landecy, car il voulait pouvoir se rendre de sa propriété - ou plutôt de celle d’Henriette Perdriau, qu’il avait épousée en 1799 - à Genève par deux routes différentes sans passer sur la Savoie !

Les Perdriau-Micheli, comme les Lullin d’Evordes font partie des grands bénéficiaires du Traité de Turin de 1816 dont nous célébrons cette année le bicentenaire ! D’autres familles patriciennes genevoises qui possédaient des domaines à Bossey, Collonges, ou Archamps furent moins chanceuses. En effet, le pied du Salève resta savoyard pour des raisons stratégiques.

On ne sait pas exactement quel fut le sentiment des populations catholiques et savoyardes qui vivaient par ici quand elles apprirent leur rattachement à Genève et à la Suisse. Si elles avaient été consultées, il est probable qu’elles auraient exprimé le désir de rester sarde. La perspective d’être unis à la cité huguenote ne devait guère leur sourire, malgré les promesses d’égalité de droits faites par Pictet de Rochemont entre les Genevois et les habitants des communes réunies. Il est vrai que ces événements coïncidèrent avec une période de grande famine et que nos ancêtres avaient surtout pour souci d’avoir de quoi se nourrir. Les conséquences de ce manque d’intégration se firent sentir durablement et  se manifestera plus tard, ce qui concerne Bardonnex ,par le fameux épisode du « Baptême à la baïonnette » ou le gouvernement radical genevois tenta d’imposer un culte catholique national à une population restée fidèle à Rome.

Horace Louis Micheli fut membre du  conseil municipal, puis maire de la commune de Compesières de 1808 à 1814 et de 1833 à 1840. Sous son administration, de grands travaux furent entrepris pour assainir les marais de Charrot. Grâce à ses relations avec les autorités cantonales, il fut d’un grand soutien pour les habitants de la commune comme le furent d’ailleurs les premiers maires après le traité de Turin de 1816, à savoir Bouthillier de Beaumont maire de 1817 à1821 et Charles Lullin de 1821 à 1827.

Son fils Hermann fut également maire de Compesières de 1827 à 1833 et son petit-fils Louis de 1882 à 1888.

Horace Louis Micheli s’intéressait à l’archéologie. En 1826, un trésor de quelque 7000 pièces de monnaies romaines ayant été découvert sur des terres proches de Landecy, appartenant à Henri Châtillon, il en fit l’acquisition puis les remit à différents musées de Suisse romande.

Visite de la maison de maître
Nous sommes accueillis par Jacqueline et Dominique Micheli et leur fille Ariane Lardy Micheli, devenue maintenant propriétaire, qui a fait récemment des travaux de rénovation importants dans l’ancien bâtiment, créant une cuisine moderne ainsi que des ouvertures pour donner davantage de lumière dans certaines pièces. Nous pénétrons ensuite dans « la maison neuve » qui comporte, au rez-de-chaussée, un vestibule, la grande salle, une chambre à manger qui est reliée aux cuisines situées dans l’ancien bâtiment et une chambre à coucher  avec un cabinet dit « Salon vert ». C’est probablement en passant par une fenêtre de cette pièce  que le général de Montesquiou, soupçonné de trahison par les autorités françaises, dut s’enfuir.

 Les fenêtres de la magnifique façade de ce corps de logis donnent sur une vaste terrasse et des jardins offrant une vue imprenable sur Genève, la cathédrale et le jet d’eau.

 Dans la partie ouest  de l’ancienne maison se trouve encore la salle de culte, maintenant désaffectée. En 1754, les bourgeois protestants avaient pu garder leurs terres, mais ils avaient reçu l’interdiction de professer leur foi. Cependant, cent ans plus tard (1854), madame Pictet-Micheli rétablit le culte protestant. Son initiative fut appuyée par les familles protestantes des environs, en particulier les Lullins d’Archamps, les Beaumont de Collonges et les Pictet de Troinex. Pour célébrer le culte, on faisait appel à des pasteurs de Genève.

Au sud  se trouvait une orangerie dont une partie a été transformée en un salon spacieux et l’autre rattachée à un appartement qui sert de résidence d’été à Madeleine Micheli. Notons enfin, qu’une pierre portant une inscription dédicatoire a été encastrée dans la paroi nord de l’orangerie. Il s’agit de la plus ancienne inscription romaine gravée trouvée à ce jour. Rappelons à  ce propos que le nom de Landecy vient probablement de Landicius, un romain propriétaire d’une « villa » située sur l’emplacement du village actuel ou de ses environs.

Autre relique, un boulet trouvé dans une vigne du domaine, lors des combats qui opposèrent en 1814 les troupes françaises à l’armée du général autrichien, Ferdinand Bubna, entre Archamps et St-Julien.

Les dépendances
Pendant le déroulement de cette visite, le deuxième groupe, sous la conduite d’Inès, fait le tour des dépendances. On passe d’abord devant la maison qu’on appelle encore « Le petit Roset » du nom d’un fermier du domaine. Sa fille épousa un Barthassat qui reprit l’exploitation, mais qui alla habiter dans un autre bâtiment, au chemin Perdriau. Pendant la seconde guerre mondiale, « le petit Roset » fut réquisitionné par l’Armée  suisse qui y logea des officiers tandis que les soldats et sous-officiers dormaient dans d’autres maisons du village ou dans des granges. Cette belle bâtisse est habitée maintenant par Horace et Véronique Micheli.

Nous entrons maintenant dans le remarquable jardin à la française qui borde la route du Prieur puis la route de Fémé. Une partie est entretenue par Madeleine et le reste par Antoine et sa famille qui habitent, après les avoir aménagés, la maison occupée jadis par le jardinier, Santschi, ainsi que d’autres locaux agricoles, notamment le pressoir.

Au fond de la cour se trouve le bûcher, une construction remarquable avec un toit à la Mansard, une caractéristique que l’on retrouve sur d’autres maisons construites à cette époque comme « le petit Roset » ou « la maison des dames ». Au fond du bûcher, une porte permet d’accéder directement au verger,  qui produit encore des fruits aux saveurs oubliées. On passe maintenant devant la demeure d’Inès. Il s’agit des anciennes écuries aménagées elles aussi avec goût.

 Nous entrons enfin dans le parc planté d’arbres séculaires, notamment de cèdres bicentenaires. Le premier cèdre du Liban a été introduit en Europe  par Jussieu, en 1734, et se trouve au Jardin des plantes de Paris. Le temps maussade ne permet pas de jouir pleinement de la vue, qui s’étend jusqu’à Genève, mais Isabelle Pictet, en 1868, à immortalisé ce paysage en le peignant depuis sa fenêtre.

Il reste maintenant à espérer que les générations futures pourront continuer à bénéficier de ce patrimoine architectural et paysager exceptionnel que nous offrent les grands domaines de la commune, et à féliciter la famille Micheli qui a réussi jusqu'à présent avec succès à préserver ces lieux, d’une beauté si fragile.


 Ouvrages consultés :

Jean-Paul Emery                                           L’histoire de Landecy
Jacques Delétraz                                            La commune de Compesières
Dominique Micheli                                       Centenaire des cultes à Landecy
Paul Guichonnet et Paul Waeber           Genève et les communes réunies
Christine Amsler                                            Maisons de campagne genevoises du XVIIIe siécle
Éric Golay et D. Zumkeller                        Histoire et vécu d’une commune
Histoire du Genevois                                    Visite de la maison Micheli par la Société de                                                                                                   généalogie le 2 octobre 2010

 Emilien Grivel,
Responsable des balades et découvertes
 24 juin 2016